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Réseaux sociaux : une arme à double-tranchant pour les femmes

Dernière mise à jour : 7 févr. 2018

Depuis l’affaire Weinstein, les réseaux sociaux sont le théâtre de la libération de la parole des femmes. Portée par les fameux hashtags, la cause féministe prend une nouvelle ampleur sous l’impulsion d’un effet papillon 3.0, à double tranchant.

Les réseaux sociaux, lame à double-tranchant


#balancetonporc : fin d’une omerta ou tribunal populaire numérique ?

Sous l’élan de la journaliste Sandra Muller, un appel à la dénonciation des harceleurs sur Twitter via le hashtag #balancetonporc a pris une ampleur nationale. Cette initiative n’est que la variante française d’un « name and shame »[1] déjà mis en exergue sous les mots-clés #Metoo, #Yotambien ou encore #Anakaman. Tous ces mouvements appellent les femmes à dénoncer une personne qui aurait commis des gestes de harcèlement sexuel à leur encontre sur les agoras numériques – Twitter en tête de file. Conjuguée avec l’extrême viralité des réseaux sociaux, cette pratique peut avoir pour effet de clouer au pilori une personne, publique ou non. La secrétaire d’Etat Marlène Schiappa s’était d’ailleurs efforcée de rappeler que "Twitter n’est pas un tribunal, ça ne remplace pas un dépôt de plainte".

La dénonciation nominative tous azimuts sur les réseaux sociaux n'est sans doute pas une bonne idée, Twitter ne pouvant se substituer à une instance judiciaire. Une plainte, en dépit des difficultés pour les victimes à obtenir une véritable écoute, reste la solution. Apostropher ainsi une personne – publique ou un particulier – sur les réseaux sociaux peut caractériser un délit de diffamation. Un argument volontiers invoqué par les chantres d’un légalisme plus raisonné que cette justice privée 3.0 en laquelle ils ne voient qu’une vulgaire chasse aux sorcières – plutôt sorciers. « Balancer » sous-entend « délation » – ce n’est donc pas digne d’un Etat de droit comme le nôtre, avancent-ils. D’autres prétendent que « porc » n’est pas approprié non plus, qu’il revient à mettre dans le même sac les violeurs et ceux qui font des remarques déplacées – qui ne peuvent alors guère plus exercer leur liberté d’importuner. Là encore, l’argument est redondant… A croire que lorsque les victimes ont enfin le courage de parler, ce n’est jamais comme il faut : on leur reproche de parler trop tard, ou pas au bon endroit, ou bien pas avec les bons mots. 


Difficile de se faire entendre dans cet océan numérique

Fin 2013, Instagram suspendait le compte d'une jeune Canadienne. Poster une photo de son maillot de bain dont dépassent des poils pubiens était un affront que la plateforme ne pouvait laisser impuni. Un comble pour le géant du web qui recensait à ce moment 5 883 628 autres photos avec pour hashtag, « bikini ».


L’ironie de cette censure n’en est que plus renforcée lorsque Twitter a dû, dans l’urgence, annoncer une réforme de sa politique de modération face aux contenus de nudité non-consentie liés au revenge porn[2] ou autres creep shots[3] que la plateforme peinait à supprimer. Facebook n’échappe pas non plus à la règle. En janvier dernier la plateforme a bloqué la sponsorisation d’un post visant à permettre le financement par une jeune réalisatrice, Alexandra Naoum, de son court-métrage sur le thème d’une femme atteinte d’un cancer du sein. La publication contenait une image d’un sein, le téton apparent. Un crime de lèse-moralité pourtant inoffensif au regard des contenus – sponsorisés eux –véhiculant une image hyper-sexualisée de femmes qui pullulent sur le site.

Internet : un vivier d’anti-féministes ?

Si les réseaux sociaux peuvent être une sphère propice à l’expression des femmes, ils les exposent également à un public très large. Une audience hétérogène, impalpable et difficilement identifiable qui n’en devient que plus intransigeante car cachée derrière un écran. Ainsi, sous la protection de l’anonymat numérique, se développent le cyber-sexisme et cyber-harcèlement sexuel, sources de pression et de violence pour les femmes. La journaliste Nadia Daam en a fait les frais en novembre dernier. Dans un billet à l’antenne d’Europe 1, la chroniqueuse dénonçait le sabotage orchestré par des web-activistes anonymes pour désactiver un numéro de téléphone "anti-relou". Lancé par Eliott Lepers et Clara Gonzalès, il s’agissait de permettre à une femme de donner un faux numéro de téléphone à un « relou » qui l'aurait abordée. Ce numéro, une fois contacté par « l’importuneur », lui envoyait des sms informatifs sur le harcèlement sexuel. Une manière originale de lutter contre le harcèlement et la « drague » de rue trop insistante. Mais certains internautes ne l’entendaient pas de cette oreille et ont décidé de surcharger la ligne en l’appelant massivement. Une « attaque » coordonnée qui a forcé les initiateurs du projet à fermer la ligne. Son épicentre se concentrait dans les limbes du notoire forum de discussion en ligne 18-25 de Jeuxvideo.com que Nadia Daam dépeint comme « une poubelle à déchets non-recyclables » dans sa chronique. Son billet d’humeur au vitriol a valu à la journaliste menaces de mort, de viol - même sur son enfant - via les réseaux sociaux et autres canaux de discussion.

Un antiféminisme ou « meninisme » semble se développer sur le web, traduisant un certain mâle-être nourri par la peur de devenir le « sexe faible » et qui se justifierait par la liberté d'expression. La résistance à la montée du féminisme s’organise et se fédère sur Twitter, notamment. Ainsi, le compte Twitter @Meninisttweet comptabilise près d’1,67 million d’abonnés. Il suffit de consulter le dictionnaire anglophone collaboratif en ligne « urbandictionary » et d’y chercher la définition du mot « féminisme » pour prendre la mesure de l’hostilité à ces idées dans la culture web. Les définitions recensées par le dictionnaire sont écrites par des internautes qui peuvent les noter positivement ou négativement. Les définitions en tête des résultats de recherche sont celles ayant reçu le plus de votes positifs – de likes. Ainsi, le féminisme selon les internautes serait « un mouvement de femmes qui semblent croire que leur capacité à expulser un bébé de leur vagin leur octroie tous les droits » - 25870 likes. Et des penseurs du web de poursuivre que « ce mouvement vise à instaurer l’égalité des droits pour les femmes lorsque cela les arrange, autrement elles sont juste agaçantes et hypocrites » - 8160 likes. Un constat aussi édifiant qu’affolant qui ne doit pas faire oublier que, face à l’émergence de courants néo-réactionnaires le web est aussi le berceau d’une nouvelle génération de féministes qui sont loin d’avoir donné leur dernier clic.


Les réseaux sociaux, berceau du digiféminisme

Cette performance digiféministe intitulée "Don't read the comments" interroge sur l'impact du cyber-harcèlement - Digi Youth Arts


Ces deux polémiques – et tant d’autres – ne font que renforcer l’idée qu’un nouveau militantisme, un féminisme 3.0 est en train de voir le jour sur les réseaux sociaux. Elles sont photographes, web-artistes, performeuses et forment une génération de jeunes femmes nées avec Internet qui ose imaginer un nouveau girl power numérique – le digiféminisme. Venues d’Outre-Atlantique, ces natives d’Internet (la plupart sont nées dans les années 90, Ndlr) cherchent à situer et à se réapproprier la place du corps féminin dans un écosystème numérique où l'éducation sexuelle se fait sur Pornhub.com, mais où, paradoxalement, le droit à l'avortement est plus menacé que jamais. Appelées « Next Wave Feminists », ces jeunettes, élevées par des mères nourries au Women's Lib[4] dès leur plus jeune âge sont une génération hybride de féministes. Elles défendent leur cause en frappant leur clavier [d’ordinateur] plutôt qu’en battant le pavé comme leurs aînées. « Etre féministe aujourd'hui ne veut pas dire se caler sur les notions de 1968, mais détecter les nouveaux tabous et zones d'exclusion", explique Arvida Byström, une photographe suédoise de 22 ans interrogée par les Inrocks. Son travail met en scène des garçons qui, en string ou en brassière, se maquillent sous le regard de leurs petites amies ou de jeunes filles aux jambes pileuses. Son but est de libérer son art de considérations genrées et de la pression normative de la société. « Le rejet de notions telles que la transphobie, l'homophobie, est indissociable d'une pensée féministe aujourd'hui. », assène-t-elle. Ces nouvelles militantes ont pleinement intégré les piliers de la culture geek et prennent un malin plaisir à déconstruire les dogmes sur cette nouvelle agora que sont les réseaux sociaux.


- Antoine Engels

[1] Pratique anglo-saxonne qui signifie littéralement « nommer et couvrir de honte ». Permet de livrer en pâture le nom d’une personne alors soumise au « doxing » (fait de se renseigner sur une personne) des internautes.

[2] Un contenu sexuellement explicite qui est publiquement partagé en ligne sans le consentement de la ou des personnes apparaissant sur le contenu, dans le but d'en faire une forme de vengeance

[3] Photos, « shots » en anglais, de jeunes femmes prises à leur insu par un « creep » ou « sale type » en anglais.

[4] Mouvement de libération de la femme aux Etats-Unis


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