Peut-on être féministe et aimer le porno ? Voire même en faire son métier ? Cette industrie jugée « responsable de véhiculer une image dégradée de la femme » par Emmanuel Macron est dans l’œil du cyclone d’un moralisme exacerbé par l’affaire Weinstein.
La pornographie, l'oeuvre du mâle ? - Fight the New Drug
« L’érotisme, c’est quand on le fait, le porno, c’est quand on le regarde », disait le journaliste Yvan Audouard. Le regard, justement, sur ce vous-savez-quoi est tiraillé entre une nécessaire moralisation invoquée mordicus par les entrepreneurs de mœurs et une vaine diabolisation qui en résulte inéluctablement. Dans son grand plan d’éradication des violences faites aux femmes, annoncé le 25 novembre, Emmanuel Macron a en ligne de mire les sites pornos qui pollueraient la jeunesse française, ce dès l’enfance. Et Jupiter d’expliquer que « Nous ne pouvons pas d’un côté déplorer les violences faites aux femmes et de l’autre fermer les yeux sur l’influence que peut exercer sur de jeunes esprits un genre qui fait de la sexualité un théâtre d’humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes». Une posture très vite accusée d’entretenir un amalgame et une stigmatisation d’un métier par Manuel Ferrara, acteur X français qui n’a pas hésité à interpeller Emmanuel Macron et l’inviter à en débattre de vive-voix. Il est partout, dans nos campagnes, dans les villes, sur nos écrans, le porno nous envahit et opprimerait les femmes. Mais comment allier liberté de la femme et moralité ? Faut-il restreindre l'accès au porno ou en changer le message ?
Le George Clooney français du X, Manuel Ferrara s'indigne des déclarations d'Emmanuel Macron - Manuel Ferrara Tv / Twitter
Quand Emmanuel Macron rencontre Manuel Ferrara - Daniel Morin / France Inter
Une femme, ça se dégrade ?
Qu’elle soit dégradée ou dégradante, l’image de la femme véhiculée par l’industrie pornographique suscite de vives passions. Interrogé par Libération, le sociologue Florian Vörös, pionnier en France du courant de recherche des porn studies, considère cette question comme « centrale aussi bien dans les rapports officiels que dans les décisions des autorités de régulation des médias. A travers cette notion, note-t-il, l’Etat s’arroge le droit de distinguer, pour l’ensemble des femmes, le périmètre des "bonnes" images qu’elles pourraient donner d’elles-mêmes. C’est une notion à double tranchant, qui peut renforcer le stigmate de putain et contribuer aux discriminations et violences envers les actrices de films pornographiques ». Un constat rappelé par le journaliste Mathieu Lindon : « Ce qui disqualifie la pornographie comme la prostitution aux yeux de ceux pour qui rien ne doit rester à l'abri de leur vertu, c'est le côté commercial ». Au fond, c'est recevoir de l'argent dans l'exercice de leur sexualité qui, pour certains, dégraderait tant les femmes ou leur image. Par un retournement économique et moral, ce qui transforme les travailleuses du sexe en esclaves, c'est d'être payées. Mais imposer un ordre moral trop général reviendrait à déposséder les femmes de l’emprise qu’elles ont de leur propre image. Ainsi, qu’elle soit dénudée ou qu’elle se couvre, la femme n’a qu’à bien se tenir dans le climat actuel si elle veut éviter que son image – celle qu’on lui présuppose – ne fasse l’objet d’un procès par contumace.
Pornographie et violences faites aux femmes, merci d'arrêter les amalgames ! - Nadia Daam / Europe1
L’Ovidie pour la femme : changer de message pour changer d’image
L’hégémonique plateforme Pornhub, championne au Panthéon des diffuseurs de vidéos pornographiques sur le web, a publié un rapport annuel de son trafic pour le moins édifiant. Parmi les 28 milliards de visiteurs en 2017, 23% sont des femmes. Une femme sur quatre consommerait donc du porno. Sur les 50 000 recherches effectuées par minute sur ce havre de l’Ovidie numérique, le « porno pour les femmes » (« Porn for women », Ndlr) campe la première place. Un engouement nouveau – 1400% de plus élevé que l’année précédente - pour une thématique qui sort du spectre masculin – souvent phallocentré - à travers lequel le porno se réfracte habituellement.
Le porno pour femmes, thème le plus recherché sur Pornhub en 2017 - Pornhub annual survey
« 2017 semble être l’année où les femmes se sont manifestées pour exprimer leurs désirs plus ouvertement », déclare le Dr. Laurie Betito, sexothérapeute et directrice du Pornhub Sexual Wellness Center. Mais quid de l’image dégradée tant décriée ? Ces 23% de femmes pornophiles sont-elles complices de leur propre avilissement ? Pour l’écrivaine et féministe américaine Annie Sprinkle, la solution n’est pas « plus de porno du tout » mais un meilleur porno. « Comme il y a une éducation au discours médiatique, pourquoi n’y aurait-il pas une éducation au discours pornographique? », s’interroge-t-elle dans Sexpowerment, écrit par Camille Emmanuelle. Puis de poursuivre : « Il ne s’agirait pas de décréter quel est le bon ou le mauvais porno, mais de montrer qu’il n’y a pas, dans le porno, que des femmes qui se font traiter de grosses chiennes, comme dans les vidéos de Jacquie et Michel ».
La pornographie, vecteur d'empowerment ? - Diane Young
Le porno féministe : un Sexpowerment ?
Cette question divise les féministes. D’aucunes n’y voient qu’une vitrine de bon goût au porno mainstream tandis que les autres le considèrent au contraire comme la possibilité de renouveler le genre. Un moyen de rétablir le rapport de force – un (sex)empowerment, donc. Interrogée par le collectif féministe Les Glorieuses, Sophie Bramly, fondatrice du magazine Second Sexe est de l’avis que « la pornographie est féministe dès lors que la femme prend la caméra et que le point de vue est féminin. » Autre élément central de cette définition, le plaisir féminin. La pornographie féministe, selon la chercheuse américaine Olivia Tarplin, peut être qualifiée comme telle « lorsque les femmes sont au cœur des interactions, que le plaisir féminin paraît réel et s’il y a une représentation paritaire des genres. » Une définition que la chercheuse aime rapprocher de la notion de commerce équitable. « Il faut que nous réfléchissions à la provenance des films, à qui le fait, quelles sont les conditions de travail et qui en profite économiquement », précise-t-elle. Une généralisation de la pornographie féministe peut avoir un impact sur les relations femmes/hommes. « C’est indispensable pour l’éducation », martèle Sophie Bramly. « Entre 40 et 60 % des femmes auraient peu ou pas d’orgasme ». Le schéma du tryptique « préliminaires – pénétration – dodo » est encore malheureusement dominant. La pornographie féministe peut ainsi instiller un dialogue entre les désirs des un(e)s et les plaisirs des autres. « Plus les hommes vont voir avec des femmes des films pornographiques féminins, plus ils comprendront ce qu’elles attendent. » Cruellement minoritaire dans l’offre actuelle d’une industrie pourtant pléthorique, certaines productions - de Candida Royalle et d’Erika Lust, notamment – se veulent les pionnières d’un porno féministe.
- Antoine Engels
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